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The Batman : que valent les ensembles LEGO inspirés du film?

À l’occasion de la sortie du film The Batman avec Robert Pattinson, LEGO n’a pas manqué l’opportunité de nous proposer des ensembles inspirés de cette nouvelle franchise. Comme pour d’autres licences cinématographiques, ces sets sont commercialisés bien avant la diffusion en salles obscures. Alors comment la firme danoise s’en est sortie malgré tout ? Gros plan sur une figure de style imposée : la création de produits dérivés quand le matériau de base n’est pas encore disponible au grand public. Article garanti sans spoilers.

L’histoire d’amour lucrative entre LEGO et le super héros le plus populaire de l’écurie DC a commencé en 2006. L’événement est un tournant majeur dans l’histoire des sets sous licence. D’ailleurs, LEGO ne s’y trompe pas et annonce pour l’occasion la venue du chevalier noir en grande pompe. Le papy Batman (83 ans tout de même!), super héros créé par Bob Kane et Bill Finger, jouit toujours d’une popularité sans faille auprès des fans. Et ce, malgré l’absence de super pouvoirs autres que ce que l’argent peut acheter (super gadgets, gros bolides, trafic d’influence, corruption, concussion, etc.)

Le justicier masqué, grimé en chauve-souris, est une poule aux œufs d’or, comme en témoignent les flopées de comics, de jeux vidéo, de jouets et de films qui sortent, encore aujourd’hui, à une cadence industrielle. Après Christopher Nolan et Zack Snyder, voici venue la troisième itération cinématographique du Batman au XXIe siècle. Cette fois, c’est au tour de Matt Reeves, qui n’attend que les premiers chiffres du box-office pour avoir le feu vert des studios afin de réaliser sa propre trilogie et, pourquoi s’arrêter en si bon chemin, poser les bases de son propre Batverse.

Coffret commémoratif limité à 250 exemplaires, offert lors de la San Diego Comic Convention 2005 pour annoncer le lancement de la gamme Batman. ©2005 LEGO Group.

Le Battinson succède au Batfleck

Batman, Année Un par Frank Miller (Urban Comics).

Après toutes ces apparitions sur le grand écran, on aurait pu croire qu’on avait fait le tour du personnage et que plus rien de neuf ne pourrait être dit, sauf à radoter. C’est mal connaître la richesse de l’univers du chevalier noir. Le Batfleck campe un Batman en fin de carrière et aigri, directement tiré des récits de Frank Miller : The Dark Knight Returns. Zack Snyder nous livre un personnage violent et désabusé, et s’inspire de nombreux éléments de l’intrigue, dont le fameux conflit qui donne le titre au film : Batman v Superman : L’Aube de la justice.

Ainsi, pour se renouveler, The Batman puise dans une autre œuvre iconique de Frank Miller : Batman Année Un. Après avoir exploré les vieilles années du héros, quoi de plus logique que de s’attaquer à sa genèse. Pour rajeunir le personnage à l’écran, la tâche est confiée à l’acteur Robert Pattinson, que nous appellerons dorénavant le Battinson. Comme à chaque changement d’acteur pour incarner le justicier iconique, les débats abscons se multiplient sur les réseaux. Mais dès que les premières images apparaissent, les doutes s’envolent. Et le Battinson fait fort, très fort. Car porter le Batman à l’écran, c’est aussi développer un univers visuel indissociable du personnage, à base de Bat-Trucs en tous genres.

L’habit fait le moine

Forcément, lorsqu’il s’agit de l’homme chauve-souris, la première chose qui nous vient à l’esprit est la transmission du coronavirus par zoonose son costume. D’un point de vue visuel, quatre éléments majeurs sont incontournables, à savoir son demi-masque à oreilles pointues, sa cape, sa ceinture à gadgets Deus ex machina, et bien évidemment son slip par-dessus ses leggings un bon gros logo de chiroptère arboré fièrement sur son poitrail.

Un cahier des charges plutôt simple qui pourtant a été décliné presque à l’infini, avec plus ou moins de réussite (ne jamais oublier les Bat-Tétons). Alors en quoi le costume du Battinson est unique ? Comme l’a expliqué Matt Reeves, les designers voulait que le Bat-Costume soit pratique et donne l’impression que Batman utilisait des pièces de rechange pour le créer lui-même. Judicieuse idée qui colle parfaitement à un Batman débutant dans le métier.

Les observateurs les plus avisés pourront noter que le Bat-Costard de Pattinson semble s’inspirer de celui dessiné par l’artiste Lee Bermejo dans des bandes dessinées comme Noël et Damned. Nous retrouvons les sections angulaires sur la poitrine, le même style de ceinture avec un harnais, et un pantalon plus ample que les traditionnels collants en spandex. Bermejo n’a pas été consulté concernant le design, mais était fier de voir un Bat-Costume similaire au sien dans un film.

Le Batman de Lee Bermejo est tout colère parce que ses parents sont moooooorts!!1.

Du spandex au plastique

Comparaison entre la minifigurine LEGO et le costume du Battinson

Observons à présent la déclinaison du Battinson en minifigurine. L’exercice est délicat, il faut savoir saisir les traits saillants du personnage et les appliquer sur une très petite surface. C’est un exercice de caricature où l’on exagère les attributs du personnage en veillant à respecter un subtil équilibre entre le réalisme et le grotesque. Heureusement, une cape et des oreilles pointues suffisent amplement à atteindre un résultat certes fainéant, mais convaincant.

Ainsi, rien ne ressemble plus à une minifigurine du Batman qu’une autre minifigurine du Batman pour un œil distrait. Il est regrettable que le magnifique masque en cuir à coutures apparentes soit réduit au casque générique vu et revu dans d’innombrables sets LEGO (58 pour être exact). De plus, le col protège-nuque qui contribue largement à l’identité du costume, et, soit dit en passant, est vraiment sympa, passe tout simplement à la trappe. C’est la dure loi du compromis.

Notons tout de même la belle tampographie du torse (recto ET verso s’il vous plaît !) et des jambes. Les graphistes de LEGO ont fait un beau travail sur le plastron qui est, somme toute, très ressemblant. Le logo, l’armure et la bat-ceinture sont fidèles à l’original et suffisamment détaillés. Une chose manque cependant et vient gâcher le plaisir : l’absence de motifs sur les bras, qui pourtant se prêtaient bien à l’exercice.

De gauche à droite : Batman, le Sphinx, commissaire Gordon, Catwoman, Alfred et le Pingouin.

L’énigme du sphinx

Laissons de côté les autres minifigurines présentes dans les sets, car elles ne resteront pas dans les annales. Sans être ratées, les personnages sont reconnaissables, mais ne suscitent pas plus d’enthousiasme. Seul le Sphinx (ou Riddler en VO), grand méchant du film, possède un design qui mérite qu’on s’y attarde. Des fringues moches, un sac hideux sur la tête, des lunettes, un symbole peint sur son manteau, et qui envoie des lettres incompréhensibles, ça vous rappelle quelqu’un ?

Si vous avez répondu le tueur du Zodiaque, bravo, vous venez de gagner un point Internet. Petite futée ! C’est en effet le célèbre tueur en série californien des années 70 qui a servi d’inspiration au costume. Plus précisément le fameux dessin de l’ancien caricaturiste du San Francisco Chronicle, Robert Graysmith. La victime survivante, Bryan Hartnell, a personnellement décrit le costume en détail à Graysmith, après sa rencontre et celle de Cecilia Shepherd avec le zodiaque le 27 septembre 1969. Ça rend tout de suite le costume moins ridicule, n’est-ce pas ?

Zodiac in Costume at Lake Berryessa par Robert Graysmith.

Néanmoins, ce n’est pas l’énigme du Sphinx évoqué dans le titre. Non, la vraie énigme est pourquoi diable LEGO a décidé de l’affubler d’une perruque par-dessus son masque ? Pourquoi ? Répondez !!! Heureusement, nous pouvons habilement transformer de façon simple la minifig grâce à une technique audacieuse, afin qu’elle corresponde davantage au personnage campé par Paul Dano. Retirez les cheveux. Ne me remerciez pas. Preuve à l’appui :

Le Riddler sans les cheveux, ça rend tout de suite mieux.

Laisse-moi vroum vroum zen

Christine, l'automobile surnaturelle et malveillante de Stephen King a inspiré la nouvelle Batmobile.

Nous l’avons constaté, les designers de chez LEGO doivent donc réussir l’exercice difficile de produire des jouets avec peu de références,  ce qui explique peut-être le choix capillaire étrange évoqué ci-dessus. Partant de ce fait, intéressons-nous au meilleur acolyte du Batman. Non, pas Robin, mais la Batmobile. Car quand on ne sait pas voler, mieux vaut une bonne voiture. Et en matière de véhicule, le moins que l’on puisse dire est que le super pouvoir de l’argent aide beaucoup.

Sur ce point, il y a autant de versions différentes du bolide que de costumes de chauve-souris, c’est-à-dire à foison. Le film The Batman s’empare à son tour de l’engin et en livre sa propre version, et rompt avec ses prédécesseurs. Fini les tanks furtifs et autres charrettes improbables et sur-armées. Les designers restent fidèles au leitmotiv du justicier en devenir : Bruce Wayne a fabriqué ça dans une grotte.

Matt Reeves a imaginé une voiture plus réaliste, que Bruce a assemblé lui-même. Les références à la chauve-souris sont beaucoup plus subtiles. Ainsi, il est amusant de constater que le moteur a une forme rappelant le volatile. De l’aveu même du réalisateur, il s’est inspiré de Christine de Stephen King pour lui donner une apparence animale afin d’effrayer les gens que Batman poursuit.

Rodéo urbain sur le périph, la Batmobile entre en action.

Dans l’ensemble, Matt Reeves a réussi son pari. La Batmobile dégage une bestialité glaçante, tout en restant pragmatique. Il faut de surcroît ajouter que le choix d’utiliser une muscle car renforce d’autant plus cette impression. Mais à bien considérer les choses, ce design n’est pas non plus totalement inédit. En effet, nous pouvons retrouver une Batmobile muscle car dans les travaux du dessinateur Francesco Francavilla et son génial Batman 1972.

Le Batman de Francesco Francavilla est de loin le plus funky.

Brickman et sa brickmobile

Jusqu’à présent, toutes ces références n’ont donné que des pistes d’identité visuelle. Mais les designers de chez LEGO étaient bien obligés de travailler avec du concret. Et ils n’ont pas toujours un accès privilégié aux coulisses. À cet égard, comparons leur travail avec les sources officielles de promotion disponibles sur le oueb, et jouons au jeu des sept différences. Je précise tout de suite que je ne parlerai pas de la Batmobile™ LEGO® Technic (42127) car cette gamme ne m’intéresse pas  par choix éditorial (mais vous pourrez toujours l’accrocher au mur).

Un photoshop digne d’un professionnel…

Premièrement, soulignons que la Batmobile (76181) proposé par LEGO fait partie du club des huit tenons de large. Cette échelle donne instantanément un rendu très réaliste au niveau des proportions. Il suffit de voir la muscle car de six tenons de large du Ghost Rider (76173) pour s’en convaincre. Malgré des angles trop abrupts par rapport aux courbes délicates de l’original, l’aspect général est féroce et brutal. De loin, le véhicule est très convaincant. 

Le moteur en forme de chauve-souris pour rouler des mécaniques.

Le moteur V8 de 650 chevaux apparent devient un V6 sur le modèle proposé par LEGO. Nous retrouvons l’aspect « chauve-souris » et les pièces chromées utilisées ajoutent au réalisme. Le designer a été bien inspiré et a réussi à ajouter de nombreux petits détails. Seuls deux petits autocollants sont utilisés et sont, pour leur part, plutôt accessoires et à demi masqués. Du reste, les effets pyrotechniques bleus crachés par le réacteur sont conformes à ceux aperçus dans la bande-annonce. Un travail propre et respectueux du sujet.

Les autres véhicules

Le set LEGO La course-poursuite en motos de Batman et Selina Kyle (76179) nous révèle que les deux roues seront aussi visibles à l’écran. Peu d’images sont disponibles sur Internet, mais c’est suffisant pour juger de la qualité des modèles en briques. À première vue, le résultat est est mitigé. Une remarque avant de rentrer dans le vif du sujet, il est clair que la Bat-Moto n’est pas homologuée : un coup de frein et PAF! Empalé par le pare-brise.

Virée romantique à moto dans un cimetière.

Revenons à nos motos. En premier lieu, ces deux cylindrées bénéficient d’une toute nouvelle pièce LEGO pour le châssis. L’avantage est que les motos proposent une expérience de construction plus grande qu’avec les traditionnelles motos moulées d’un seul bloc. De plus, les designers ont intégré beaucoup de détails (Bat-pare-brise, coffre, carburateur…) et le résultat est relativement fidèle.  Cependant, la largeur de deux tenons rend les motos trop balourdes et imposantes. Mais après tout, ce ne sont que des jouets.

Bruce Wayne a décidément un goût prononcé pour les voitures vintages.

Enfin, un dernier véhicule fait une apparition furtive dans les bandes-annonces : la Chevrolet Corvette de 1963 de Bruce Wayne (que nous n’avons jamais vu dans la même pièce que Batman. C’est suspect…). Notons que LEGO nous a déjà proposé une Corvette de 1968, il est donc raisonnable d’espérer voir ce modèle produit un jour. 

La Man-cave

Que serait notre justicier masqué sans son repère secret où se détendre entre deux séances de tartes aux dents sur les méchants ? Et la Batmobile garée en double file devant le building Wayne serait pour le moins suspicieux. Heureusement que Bruce Wayne est plein de ressources (financières). Nous connaissons tous la grotte aménagée sous le manoir familial, où s’entassent Bat-trophées, Bat-véhicules, Bat-ordinateur, Bat-infirmerie, Bat-costume… Bref, vous avez compris.

En ce qui concerne cette base secrète, un seul mot vient à l’esprit : pourquoi ? En y réfléchissant une petite minute, on se rend compte de l’absurdité de la chose. Stocker du matériel de haute technologie dans un endroit aussi humide ferait hurler n’importe quel technicien. Et que dire de ses colocataires chauve-souris au plafond ? La Bat-Cave, dans son ensemble, devrait être recouverte d’une épaisse couche d’excréments. Ce pauvre Alfred doit passer ses journées à décontaminer les lieus. 

Pire, le guano représente un danger pour la santé des humains. Saviez-vous qu’au total, plus de 60 virus ont été détectés à partir d’organes, du sang ou des excréments de chauves-souris, un nombre bien plus élevé que chez les autres espèces animales. La rage, les coronavirus et même Ebola, voilà le menu réjouissant auquel vous vous exposez en pataugeant dans les déjections de chiroptères.

Marco d'Alfonso (M7781) nous livre une vision réaliste de la vie dans une grotte.
La Batcave : l’affrontement du Sphinx (76183)

Wayne Terminus, tout le monde descend

Heureusement pour lui, notre Battinson semble avoir plus de jugeote que ses alter-egos et a installé son antre dans ce qu’il semble être un terminal de métro abandonné. Probablement l’œuvre inachevée de son père philanthrope. Nous n’avons qu’un bref aperçu du lieu dans les différentes images promotionnelles. Cependant, c’est amplement suffisant.

Travailler dans le noir abime les yeux.

Sur l’image ci-dessus, nous distinguons à l’arrière-plan la Batmobile, ainsi que la rampe de réparation, ce que le set LEGO ne manque pas de reproduire. Un bon point pour les designers. Néanmoins nous noterons que la Batmobile, bien quelle se range parfaitement sur ses rails, est vendue séparément. Business is business.

Pourquoi les films sont-ils devenus si peu éclairés ? C'est la crise des projecteurs ?

Mais c’est vraiment sur cette dernière image que nous pouvons juger de la ressemblance du set LEGO. Les escaliers sont là, avec les lampadaires. Son setup de gaming est bien présent lui aussi, au milieu de la pièce. L’inscription « Wayne Terminus » est aussi visible. Enfin, nous distinguons au fond son atelier de tuning, également présent chez LEGO. Sur la base de cette photo, nous pouvons raisonnablement affirmer que l’interprétation des designers LEGO est très crédible.

Le vide sous le tunnel est habillé par les trois grands écrans du Bat-Ordinateur et constitue le point focal de la construction. Les autocollants des écrans sont très richement décorés et fourmillent de détails. Les messages codés du Riddler à passer sous la loupe rouge offrent une petite expérience de jeu sympathique. Les graphistes se sont lâchés et le résultat est là.

Si vous possédez également la Batmobile, elle trouvera naturellement ici sa place de garage douillette. Les designers ont d’ailleurs pensé à tout en offrant la possibilité de déplacer facilement le Bat-Ordinateur pour installer le véhicule. Le set est modulable et garde sa prestance quel que soit l’agencement choisi.

La grande carte de Gotham City parsemée de post-it avec des points d’interrogation est fouillée. Il faut, ici encore, noter la minutie des graphistes car cette carte n’est pas sortie de nulle part. C’est une reproduction fidèle du plan de Gotham aperçu dans Batman L’An Zéro de Scott Snyder et Greg Capullo (voir ci-contre). 

Dans l’ensemble, cet ensemble LEGO est authentique et très réussi. Enfin une Bat-Cave qui peut rivaliser avec l’armurerie d’Iron Man (76125) en potentiel d’exposition sur vos étagères et pour un prix inférieur à 70 €, surprenant pour une gamme sous licence. Comptez tout de même 115 € pour l’ensemble des trois sets tirés du film (215 € si vous ajoutez la version LEGO Technic de la Batmobile). Il ne reste plus qu’à espérer que d’autres sets de la même qualité soient prévus.

Comment dépenser votre argent ?

14,99 €

La course-poursuite en motos de Batman™ et Selina Kyle™

4/5
57,90 €

La Batmobile™ : la poursuite du Pingouin

5/5
69,99 €

La Batcave™ : l’affrontement du Sphinx

5/5

Bonus tl;dr

On se quitte avec ces quelques illustrations promotionnelles, dont une dessinée par Jim Lee (excusez du peu). Rendez-vous dans les salles obscures pour apprécier les aventures du Battinson. N’hésitez pas à partager votre avis dans les commentaires.

De magnifiques illustrations promotionnelles réalisées pour le film The Batman

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De la géométrie à la géographie ou des polyèdres au globe Lego

Dernier né de la plate-forme Lego Ideas, le fabriquant de briques danois nous gratifie d’un nouvel ensemble destiné aux adultes, comme l’indique le 18+ sur la boite. Ou plus précisément, voici le dernier produit « Lifestyle » destiné aux adulescents cherchant à combler le vide de leurs âmes broyées par une vie de consumérisme insignifiante et sans fin accentuée par la solastalgie de l’inévitable épée de Damoclès climatique qui nous écorche petit à petit notre scalp étagères. Voici Le Globe.

La carte et le territoire

Ce globe (terrestre, précisons parce que oui, il en existe d’autres) se veut être une interprétation d’une représentation à petite échelle de notre planète dessinée sur une sphère. Or, il n’échappe à personne qu’une sphere construite à partir de polyèdres, ce que sont par nature les briques, est un exercice pour le moins délicat. Tout comme coucher la surface d’une sphère sur un plan est ardu. Sauf pour les platistes, bien entendu. Revenons un instant sur l’intérêt premier d’un planisphère. Sa forme sphérique constitue la meilleure approximation de ce qu’est notre planète, à savoir un ellipsoïde de révolution oblate (un sphéroïde légèrement aplati aux pôles, une boule quoi!). Ainsi, le globe permet la représentation cartographique la plus fidèle, c’est-à-dire sans déformer la taille des territoires dépeints, et ceux qui pensent le contraire ont Mercator (haha).    

Si pour vous la Terre ressemble à ça, vous pouvez arrêter ici la lecture de cet article.

Cependant, aussi précis que soit une carte, elle n’en reste pas moins subjective. Le célèbre aphorisme d’Alfred Korzybsky « Une carte n’est pas le territoire qu’elle représente » nous le rappelle. Le mot n’est pas la chose et la carte n’est pas le territoire. De nombreuses anecdotes nous rappellent qu’une carte possède intrinsèquement les visions biaisés que chacun a du monde. N’est-il pas surprenant que l’Europe soit toujours placée au centre des cartes ? Que le Nord définisse l’orientation des plans ? Que le méridien d’origine passe par l’observatoire de Greenwich en Angleterre ? D’ailleurs, jusqu’au début du XXe siècle, des pays tels que la France, l’Allemagne, l’Espagne ou encore la Suède utilisaient leurs propres méridiens d’origine. Toutes nos perceptions cartographiques sont égocentriques.

Urbi et orbi

Le Globe Lego n’échappe pas à ces biais de subjectivité et place un compas approximativement sur le méridien de Greenwich. On pourra objecter que dans un monde interconnecté, la norme fait nécessité afin que les fuseaux horaires, par convention, soient partagés par tous dans ce « village planétaire » prédit par MacLuhan et porté à bout de bras par des multinationales déversant leurs fac-similés de jouets en plastique ABS (Oui, j’ose dénoncer avec courage Playmobil). Cela n’enlève en rien l’arbitraire de ce système. Il est par exemple amusant de rappeler qu’en 1634, le roi Louis XIII prescrivit par ordonnance que le premier méridien serait celui dit de l’Île de Fer dans l’archipel des îles Canaries dans l’unique but de faire chier les islandais d’obtenir une longitude positive pour toutes les terres européennes. Vanitas vanitatum et omnia vanitas.

 

D’autres détails présents sur le Globe Lego passeraient presque inaperçus, tant nous avons intériorisé certaines conventions. Si l’on s’attarde un instant sur les briques tampographiées fournies dans l’inventaire et servant à ajouter du contexte, il nous parait presque normal que les noms des continents et océans soient orthographiés dans la langue de Shakespeare. L’omphalomanie -capacité à se prendre pour le centre du monde- dénoncé par le géographe Roger Brunet n’est pas loin. Pourtant, d’autres ensembles Lego, notamment dans la gamme Lego Achitecture, la fabrique à briques avait eu l’élégance de fournir des traductions dans différentes langues.

Visualiser, c’est expliquer

Que nous donne à voir ce globe ? Les noms des continents et des océans comme mentionné précédemment, évitant l’écueil de la carte muette. Mais c’est avant tout une carte topographique qui, malgré ses apparences grossières, fourni tout de même quelques informations utiles. On pardonnera ici d’avance les approximations liées à la triple contrainte : l’échelle choisie, le support complexe et, naturellement, sa réalisation en briques Lego. 

Mettons-nous un instant à la place de quelqu’un n’ayant jamais vu la Terre dans sa globalité. Il pourra déterminer de prime abord sa forme, son axe de rotation ainsi que son inclinaison. Il verra également différentes couleurs (quatre) correspondant à différentes surfaces : vert et marron pour les terres émergées, bleu pour les mers et océans et blanc pour les surfaces gelées aux pôles. Là où le bât blesse, c’est que ces couleurs ne sont pas légendées. Les surfaces marrons, qui correspondent aux zones arides, pourraient tout aussi bien représenter des dénivelés topographiques ou les territoires exploités par la maison Harrkonnen. Seule exception, l’ajout d’un voilier sur la surface bleue. Pas d’ambiguïté, c’est de la flotte. C’est toujours mieux que rien.

HIC SUNT DRACONES

Pour appréhender cet objet, il faut garder à l’esprit que ce n’est là qu’une approximation d’une copie d’une représentation de la réalité. Tout comme une image jpeg compressée, il y a néanmoins une nécessité d’intelligibilité. Pour cela, certains codes graphiques ont été repris de l’objet duquel la copie Lego est inspirée. En premier lieu, nous retrouvons l’habituelle utilisation du skeuomorphisme -imitation de l’apparence d’un objet réel- dans le design du support du globe, tout en bois et dorures. L’effet est convaincant et reste dans l’esprit du bateau dans la bouteille commercialisé précédemment.

Les éléments graphiques forts, eux aussi, veulent s’inspirer des cartes et globes vintages. La fonte de caractères manuaire, (trop) proche du Comic Sans, imite vaguement les calligraphies d’antan. Notons au passage l’inconsistance de la date qui utilise une numération romaine plutôt qu’un usage des chiffres arabes. Leur utilisation reste un mystère. Pièce maitresse du design, le magnifique compas, entièrement tampographié. Tout aussi surprenant, la fleur de lys surplombant le dit compas. Visuellement très réussie, il est pour le moins étrange qu’un meuble héraldique des rois de France (« d’or sur champ d’azur ») soit apposé ici dans un globe très anglo-saxon et relève probablement du clin d’oeil à la nationalité française de Guillaume Roussel, le fan designer du modèle. Un peu anachronique mais toujours bienvenu lorsqu’il s’agit d’agacer la perfide Albion.

Les armes "d'azur semé de fleur de lys d'or" sont étroitement liées aux rois de France depuis Louis VII.

La chose la plus fascinante dans les cartes anciennes, surtout lorsque des parties du monde étaient encore des blancs sur le papier, est l’incroyable imagination des cartographes pour combler les zones blanches. Bien que les espaces négatifs utilisés à bon escient soient graphiquement pertinents, personne n’aime les cartes avec du vide. Pour le remplir, tout le bestiaire onirique batifolait dans les terra incognita, les cartouches aux textes illisibles (tl;dr) jetaient un voile pudique sur l’inconnu et les espaces vierges étaient affublés d’un laconique hic sunt dracones (ici vivent les dragons). Un bon exemple est la Carta Marina d’Olaus Magnus (XVIe siècle) représentant les mers, les côtes et l’intérieur des terres des pays encerclant la mer Baltique. La créativité débridée dans toute sa splendeur, mais ça ne donne pas envie de se baigner. 

La Carta Marina d'Olaus Magnus (XVIe siècle) avec ses créatures fantastiques atteste de l'usage de stupéfiants chez les cartographes.

Les designers chez Lego se sont donc contentés de quelques éléments graphiques attendus, paresseux et incohérents. Le voilier sauve légèrement les meubles et peut constituer un hommage à la caraque de Magellan ou aux caravelles de Colomb, si on plisse les yeux. D’une manière générale, le globe est un objet à admirer de loin et ferait presque passer les espacements très visibles entre les différentes plaques pour des latitudes et des longitudes. N’espérez pas trouver l’équateur, ma bienveillance s’arrête ici. 

Dieu, toujours, fait de la géométrie

Je ne peux m’empêcher de me questionner sur ces interstices : sont-ils des contraintes mécaniques inhérentes ? Est-ce le meilleur compromis visuel ? Est-ce là l’unique manière de construire une sphère ? Répondre à ces questions revient à chercher la quadrature du cercle. Si nous regardons attentivement, nous constatons que cette grosse boule de briques Lego est organisée en un assemblage de différents polygones pour former un polyèdre. Les amateurs de modélisation 3D reconnaitrons le maillage d’un objet tridimensionnel. Rappellez-vous la poitrine de Lara Croft : plus le maillage est fin, plus le galbe est naturel. Le premier a avoir étudié les polyèdres en -300 av J.C. est nul autre que Platon. Mais comme il n’a jamais joué au Lego, ni à Tomb Raider, nous ne chercherons pas de réponses dans ses écrits.

Les globes de dirksbricks.com utilisent une technique classique qui présente un crénelage important. Ils sont néanmoins visuellement très réussis. Vous pouvez les acheter directement sur son site.

Nombreux sont ceux à avoir cogité pour réaliser des sphères en briques Lego. Le résultat abouti toujours à un crénelage important. Avec cet ensemble, Lego innove en utilisant la structure d’un polyèdre sphérique. Le défi technique en soit mérite d’être salué. Le solide obtenu possède 114 faces ou polygones (16 faces en longitude, 7 faces en latitude et les deux pôles). Malheureusement, ce polyèdre n’existe pas. Cela s’explique en regardant la construction de près : les designers trichent (un peu) en jouant sur de légers décalages et en tirant parti des interstices important mais irréguliers selon l’endroit. Le polyèdre le plus proche de cette structure serait une pseudo orthobicoupole héxadécagonale allongée augmenté d’un prisme héxadécagonal à l’équateur ! Qui dit mieux ?

Existe-il un autre polyèdre qui pourrait convenir à une construction sphérique ? La réponse nous est donnée par le mathématicien Norman Johnson qui, en 1966, a publié une liste de 92 solides et a pris le soin de les nommer. Sa liste étant complète, il ne nous reste qu’à passer en revue un par un ces différents polyèdres pour voir si l’un d’entre eux pourrait convenir. Ne partez pas, j’ai menti ! Il n’y en a que trois susceptibles à mes yeux de se prêter à l’exercice. Les voici : J73, J74 et J75.

LES SOLIDES DE JOHNSON​

parabigyro-rhombicosidodécaèdre

(J73)

Le patron du parabigyro-rhombicosidodécaèdre (J73), un des 92 sol solides de Johnson.

métabigyro-rhombicosidodécaèdre

(J74)

Le patron du métabigyro-rhombicosidodécaèdre (J74), un des 92 sol solides de Johnson.

trigyro-rhombicosidodécaèdre

(J75)

Le patron du trigyro-rhombicosidodécaèdre (J75), un des 92 sol solides de Johnson.

Ces trois solides de Johnson possèdent tous 60 sommets, 120 arêtes et 62 faces. Vous voyez les différences ? Oui ? C’est pas beau de mentir. Croyez-moi sur parole, ils n’ont rien à voir entre eux (sauf si je me suis planté dans les images).

Mais il reste encore une question : sont-ils réalisables en briques Lego ? Je ne sais pas, essayez toujours (et envoyez-moi les photos). Cependant, un talentueux constructeur a réalisé une sphère remarquable sur le modèle d’un solide d’Archimède, c’est-à-dire un polyèdre convexe semi-régulier, répondant au nom d’icosaèdre tronqué. Ce nom ne vous dit probablement rien et pourtant, vous le connaissez tous très bien : c’est la configuration d’un ballon de football.

Seb_E a réussi l'exploit de fabriquer un icosaèdre tronqué pour son globe terrestre. Cette forme particulière est connu de tous car il s'agit de la même structure utilisée pour le ballon de football.

Pour finir, voici une dernière forme pouvant se prêter à l’exercice : la géode. Ou plus précisément l’hexaki icosaèdre (disdyakis triacontaèdre pour les intimes). D’après l’ingénieur G. H. Deproit, à qui j’ai emprunté le titre de cet article, cette forme possède de nombreux avantages pour réaliser une sphère, notamment une meilleure esthétique grâce à des faces uniformes et nombreuses, et une structure régulière avec le même nombre d’arêtes (10) partant des 12 sommets. Cette forme est connue pour être le plus grand dé équilibré possible de construire : un D120 !

l'hexaki icosaèdre (disdyakis triacontaèdre)

Le majestueux
hexaki icosaèdre

Et voilà un exemple concret que les maths servent à quelque chose. Et franchement, c’est l’information la plus utile de cet article.

Le monde à portée de main

En définitive, depuis le lancement de Google Earth, l’intérêt d’un globe est assez limité. Mais ce serait passer à côté du plaisir que procure l’objet. En effet, Google Earth est au globe ce que le Kindle est au livre : on ne peut pas cacher de l’alcool dedans ça prend moins de place mais vous ne pourrez pas frimer devant vos amis. Et puis, le globe fait voyager et nous empli de rêves d’aventures et d’exotisme. Voilà des raisons, s’il en fallait, pour posséder cette pièce indémodable et l’exposer fièrement chez vous. 

Vous êtes convaincu de la nécessité d’avoir un globe pour égayer vos soirées en tentant désespérément de trouver le Vanuatu, l’Eswatini ou la destination de vos prochaines vacances (Haha, non. Confinement surprise) ? Pas de panique, je vous ai fait un petit comparatif totalement subjectif et de mauvaise foi pour vous aider à réaliser un achat avisé. N’attendez plus, Le monde est à portée de votre main.

199,90 €

Le Globe LEGO®

2.5/5
57,90 €

Le Globe en liège

3.5/5
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Le Globe lumineux

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