Dernier né de la plate-forme Lego Ideas, le fabriquant de briques danois nous gratifie d’un nouvel ensemble destiné aux adultes, comme l’indique le 18+ sur la boite. Ou plus précisément, voici le dernier produit « Lifestyle » destiné aux adulescents cherchant à combler le vide de leurs âmes broyées par une vie de consumérisme insignifiante et sans fin accentuée par la solastalgie de l’inévitable épée de Damoclès climatique qui nous écorche petit à petit notre scalp étagères. Voici Le Globe.
La carte et le territoire
Ce globe (terrestre, précisons parce que oui, il en existe d’autres) se veut être une interprétation d’une représentation à petite échelle de notre planète dessinée sur une sphère. Or, il n’échappe à personne qu’une sphere construite à partir de polyèdres, ce que sont par nature les briques, est un exercice pour le moins délicat. Tout comme coucher la surface d’une sphère sur un plan est ardu. Sauf pour les platistes, bien entendu. Revenons un instant sur l’intérêt premier d’un planisphère. Sa forme sphérique constitue la meilleure approximation de ce qu’est notre planète, à savoir un ellipsoïde de révolution oblate (un sphéroïde légèrement aplati aux pôles, une boule quoi!). Ainsi, le globe permet la représentation cartographique la plus fidèle, c’est-à-dire sans déformer la taille des territoires dépeints, et ceux qui pensent le contraire ont Mercator (haha).
Cependant, aussi précis que soit une carte, elle n’en reste pas moins subjective. Le célèbre aphorisme d’Alfred Korzybsky « Une carte n’est pas le territoire qu’elle représente » nous le rappelle. Le mot n’est pas la chose et la carte n’est pas le territoire. De nombreuses anecdotes nous rappellent qu’une carte possède intrinsèquement les visions biaisés que chacun a du monde. N’est-il pas surprenant que l’Europe soit toujours placée au centre des cartes ? Que le Nord définisse l’orientation des plans ? Que le méridien d’origine passe par l’observatoire de Greenwich en Angleterre ? D’ailleurs, jusqu’au début du XXe siècle, des pays tels que la France, l’Allemagne, l’Espagne ou encore la Suède utilisaient leurs propres méridiens d’origine. Toutes nos perceptions cartographiques sont égocentriques.
Urbi et orbi
Le Globe Lego n’échappe pas à ces biais de subjectivité et place un compas approximativement sur le méridien de Greenwich. On pourra objecter que dans un monde interconnecté, la norme fait nécessité afin que les fuseaux horaires, par convention, soient partagés par tous dans ce « village planétaire » prédit par MacLuhan et porté à bout de bras par des multinationales déversant leurs fac-similés de jouets en plastique ABS (Oui, j’ose dénoncer avec courage Playmobil). Cela n’enlève en rien l’arbitraire de ce système. Il est par exemple amusant de rappeler qu’en 1634, le roi Louis XIII prescrivit par ordonnance que le premier méridien serait celui dit de l’Île de Fer dans l’archipel des îles Canaries dans l’unique but de faire chier les islandais d’obtenir une longitude positive pour toutes les terres européennes. Vanitas vanitatum et omnia vanitas.
D’autres détails présents sur le Globe Lego passeraient presque inaperçus, tant nous avons intériorisé certaines conventions. Si l’on s’attarde un instant sur les briques tampographiées fournies dans l’inventaire et servant à ajouter du contexte, il nous parait presque normal que les noms des continents et océans soient orthographiés dans la langue de Shakespeare. L’omphalomanie -capacité à se prendre pour le centre du monde- dénoncé par le géographe Roger Brunet n’est pas loin. Pourtant, d’autres ensembles Lego, notamment dans la gamme Lego Achitecture, la fabrique à briques avait eu l’élégance de fournir des traductions dans différentes langues.
Visualiser, c’est expliquer
Que nous donne à voir ce globe ? Les noms des continents et des océans comme mentionné précédemment, évitant l’écueil de la carte muette. Mais c’est avant tout une carte topographique qui, malgré ses apparences grossières, fourni tout de même quelques informations utiles. On pardonnera ici d’avance les approximations liées à la triple contrainte : l’échelle choisie, le support complexe et, naturellement, sa réalisation en briques Lego.
Mettons-nous un instant à la place de quelqu’un n’ayant jamais vu la Terre dans sa globalité. Il pourra déterminer de prime abord sa forme, son axe de rotation ainsi que son inclinaison. Il verra également différentes couleurs (quatre) correspondant à différentes surfaces : vert et marron pour les terres émergées, bleu pour les mers et océans et blanc pour les surfaces gelées aux pôles. Là où le bât blesse, c’est que ces couleurs ne sont pas légendées. Les surfaces marrons, qui correspondent aux zones arides, pourraient tout aussi bien représenter des dénivelés topographiques ou les territoires exploités par la maison Harrkonnen. Seule exception, l’ajout d’un voilier sur la surface bleue. Pas d’ambiguïté, c’est de la flotte. C’est toujours mieux que rien.
HIC SUNT DRACONES
Pour appréhender cet objet, il faut garder à l’esprit que ce n’est là qu’une approximation d’une copie d’une représentation de la réalité. Tout comme une image jpeg compressée, il y a néanmoins une nécessité d’intelligibilité. Pour cela, certains codes graphiques ont été repris de l’objet duquel la copie Lego est inspirée. En premier lieu, nous retrouvons l’habituelle utilisation du skeuomorphisme -imitation de l’apparence d’un objet réel- dans le design du support du globe, tout en bois et dorures. L’effet est convaincant et reste dans l’esprit du bateau dans la bouteille commercialisé précédemment.
Les éléments graphiques forts, eux aussi, veulent s’inspirer des cartes et globes vintages. La fonte de caractères manuaire, (trop) proche du Comic Sans, imite vaguement les calligraphies d’antan. Notons au passage l’inconsistance de la date qui utilise une numération romaine plutôt qu’un usage des chiffres arabes. Leur utilisation reste un mystère. Pièce maitresse du design, le magnifique compas, entièrement tampographié. Tout aussi surprenant, la fleur de lys surplombant le dit compas. Visuellement très réussie, il est pour le moins étrange qu’un meuble héraldique des rois de France (« d’or sur champ d’azur ») soit apposé ici dans un globe très anglo-saxon et relève probablement du clin d’oeil à la nationalité française de Guillaume Roussel, le fan designer du modèle. Un peu anachronique mais toujours bienvenu lorsqu’il s’agit d’agacer la perfide Albion.
La chose la plus fascinante dans les cartes anciennes, surtout lorsque des parties du monde étaient encore des blancs sur le papier, est l’incroyable imagination des cartographes pour combler les zones blanches. Bien que les espaces négatifs utilisés à bon escient soient graphiquement pertinents, personne n’aime les cartes avec du vide. Pour le remplir, tout le bestiaire onirique batifolait dans les terra incognita, les cartouches aux textes illisibles (tl;dr) jetaient un voile pudique sur l’inconnu et les espaces vierges étaient affublés d’un laconique hic sunt dracones (ici vivent les dragons). Un bon exemple est la Carta Marina d’Olaus Magnus (XVIe siècle) représentant les mers, les côtes et l’intérieur des terres des pays encerclant la mer Baltique. La créativité débridée dans toute sa splendeur, mais ça ne donne pas envie de se baigner.
Les designers chez Lego se sont donc contentés de quelques éléments graphiques attendus, paresseux et incohérents. Le voilier sauve légèrement les meubles et peut constituer un hommage à la caraque de Magellan ou aux caravelles de Colomb, si on plisse les yeux. D’une manière générale, le globe est un objet à admirer de loin et ferait presque passer les espacements très visibles entre les différentes plaques pour des latitudes et des longitudes. N’espérez pas trouver l’équateur, ma bienveillance s’arrête ici.
Dieu, toujours, fait de la géométrie
Je ne peux m’empêcher de me questionner sur ces interstices : sont-ils des contraintes mécaniques inhérentes ? Est-ce le meilleur compromis visuel ? Est-ce là l’unique manière de construire une sphère ? Répondre à ces questions revient à chercher la quadrature du cercle. Si nous regardons attentivement, nous constatons que cette grosse boule de briques Lego est organisée en un assemblage de différents polygones pour former un polyèdre. Les amateurs de modélisation 3D reconnaitrons le maillage d’un objet tridimensionnel. Rappellez-vous la poitrine de Lara Croft : plus le maillage est fin, plus le galbe est naturel. Le premier a avoir étudié les polyèdres en -300 av J.C. est nul autre que Platon. Mais comme il n’a jamais joué au Lego, ni à Tomb Raider, nous ne chercherons pas de réponses dans ses écrits.
Nombreux sont ceux à avoir cogité pour réaliser des sphères en briques Lego. Le résultat abouti toujours à un crénelage important. Avec cet ensemble, Lego innove en utilisant la structure d’un polyèdre sphérique. Le défi technique en soit mérite d’être salué. Le solide obtenu possède 114 faces ou polygones (16 faces en longitude, 7 faces en latitude et les deux pôles). Malheureusement, ce polyèdre n’existe pas. Cela s’explique en regardant la construction de près : les designers trichent (un peu) en jouant sur de légers décalages et en tirant parti des interstices important mais irréguliers selon l’endroit. Le polyèdre le plus proche de cette structure serait une pseudo orthobicoupole héxadécagonale allongée augmenté d’un prisme héxadécagonal à l’équateur ! Qui dit mieux ?
Existe-il un autre polyèdre qui pourrait convenir à une construction sphérique ? La réponse nous est donnée par le mathématicien Norman Johnson qui, en 1966, a publié une liste de 92 solides et a pris le soin de les nommer. Sa liste étant complète, il ne nous reste qu’à passer en revue un par un ces différents polyèdres pour voir si l’un d’entre eux pourrait convenir. Ne partez pas, j’ai menti ! Il n’y en a que trois susceptibles à mes yeux de se prêter à l’exercice. Les voici : J73, J74 et J75.
parabigyro-rhombicosidodécaèdre
(J73)
métabigyro-rhombicosidodécaèdre
(J74)
trigyro-rhombicosidodécaèdre
(J75)
Ces trois solides de Johnson possèdent tous 60 sommets, 120 arêtes et 62 faces. Vous voyez les différences ? Oui ? C’est pas beau de mentir. Croyez-moi sur parole, ils n’ont rien à voir entre eux (sauf si je me suis planté dans les images).
Mais il reste encore une question : sont-ils réalisables en briques Lego ? Je ne sais pas, essayez toujours (et envoyez-moi les photos). Cependant, un talentueux constructeur a réalisé une sphère remarquable sur le modèle d’un solide d’Archimède, c’est-à-dire un polyèdre convexe semi-régulier, répondant au nom d’icosaèdre tronqué. Ce nom ne vous dit probablement rien et pourtant, vous le connaissez tous très bien : c’est la configuration d’un ballon de football.
Pour finir, voici une dernière forme pouvant se prêter à l’exercice : la géode. Ou plus précisément l’hexaki icosaèdre (disdyakis triacontaèdre pour les intimes). D’après l’ingénieur G. H. Deproit, à qui j’ai emprunté le titre de cet article, cette forme possède de nombreux avantages pour réaliser une sphère, notamment une meilleure esthétique grâce à des faces uniformes et nombreuses, et une structure régulière avec le même nombre d’arêtes (10) partant des 12 sommets. Cette forme est connue pour être le plus grand dé équilibré possible de construire : un D120 !
Le majestueux
hexaki icosaèdre
Et voilà un exemple concret que les maths servent à quelque chose. Et franchement, c’est l’information la plus utile de cet article.
Le monde à portée de main
En définitive, depuis le lancement de Google Earth, l’intérêt d’un globe est assez limité. Mais ce serait passer à côté du plaisir que procure l’objet. En effet, Google Earth est au globe ce que le Kindle est au livre : on ne peut pas cacher de l’alcool dedans ça prend moins de place mais vous ne pourrez pas frimer devant vos amis. Et puis, le globe fait voyager et nous empli de rêves d’aventures et d’exotisme. Voilà des raisons, s’il en fallait, pour posséder cette pièce indémodable et l’exposer fièrement chez vous.
Vous êtes convaincu de la nécessité d’avoir un globe pour égayer vos soirées en tentant désespérément de trouver le Vanuatu, l’Eswatini ou la destination de vos prochaines vacances (Haha, non. Confinement surprise) ? Pas de panique, je vous ai fait un petit comparatif totalement subjectif et de mauvaise foi pour vous aider à réaliser un achat avisé. N’attendez plus, Le monde est à portée de votre main.
Le Globe LEGO®
- Pour le plaisir de construire avec des briques Lego™
- Cher pour un attrape-poussière
- Géographiquement sans intérêt
Le Globe en liège
- On peut planter des drapeaux
- Il n'est pas en plastique
- Va placer le drapeau du Liechtenstein
Le Globe lumineux
- Très détaillé
- Lumineux
- Pas sûr qu'il soit encore d'actualité dans un an